L’existence du moulin de Nitray est connue antérieurement au XVIème siècle, même si les actes notariés mentionnent « appartenir à la terre de la seigneurie de Nitray » (château voisin) depuis 1518. En 1673, une vente par adjudication le cède au Sieur René Morier, Président de Justice de Tours. S’ensuivent ventes et successions à différents propriétaires jusqu’en 1779. Moulin Banal (1) jusqu’à la Révolution, un contrat indiquait à partir de cette époque que la navigation sur le Cher étant assez importante, le propriétaire était tenu d’entretenir une voie marinière pour laquelle il dépendait de "l’Inspecteur des turcies, levées et balisages de Tours".
En 1822 des actes décrivent les mécanismes du moulin. « Le moulin est à blé avec 4 paires de meules et machinerie à Tan, le tout entraîné par une roue en dessous à mécanisme d’élévation en fonction des fluctuations du niveau de la rivière, de type moulin-pendu (2), antérieur à la révolution ».
Pierre Nicolas Saint Bris, propriétaire du moulin du Temple à Amboise sur l’Amasse, loue puis achète la concession du moulin de Nitray pour agrandir sa production d’armes et autres objets en fer étiré, la force hydraulique du Cher, meilleure que celle de l’Amasse, devant accroître son industrie… En 1824 la roue qui activait trois marteaux pilons et quelques soufflets de forges était commandée par un barrage fixe et une vanne mobile en amont. Le Cher ne fut canalisé qu’entre 1830 et 1840 ; ce n’est qu’à cette époque que le barrage fixe fut remplacé par un barrage mobile à fermettes et aiguilles.
les barrages à aiguilles sont une innovation technologique majeure pour l'époque. Inventée en France (en Bourgogne), cette technique permettait pour la première fois de barrer d'importantes largeurs de rivière avec une structure mobile, et ainsi de favoriser la navigation commerciale. Alors que les premiers modèles étaient expérimentaux, c'est sur le Cher qu'a été décidé pour la première fois de concevoir une rivière navigable utilisant cette technique, en la standardisant pour 16 barrages. Le modèle a été ensuite reproduit en France et en Europe.
La technique mise en œuvre ici est plus complexe mais est très courante d’utilisation. Elle consiste à barrer le lit de rivière et à construire en parallèle mais un peu plus haut un canal d’amenée de pente plus faible que le cours original afin d’avoir une bonne hauteur d’eau. L’eau regagne le cours de la rivière par un canal de fuite. Le moulin se trouve ainsi au milieu d’une île artificielle. La construction du canal d’amenée nécessite l’aménagement d’une digue chargée de maintenir l’eau en hauteur.
La cessation de l’activité d’usine à étirer le fer se situe vers 1857. Après une période de démontage de ces installations, l’Etat des Ponts et Chaussées de 1879, indique que le mécanisme à blé avec ses 4 paires de meules est de nouveau en fonctionnement.
En 1922 un nouveau propriétaire le loue à un ingénieur qui transforme le moulin en usine produisant de l’électricité. Il démonte l’ancien mécanisme de moulin pendu installé là depuis le 17ème siècle, le jugeant inutile, et installe une turbine Francis (3) pour développer sa production d’électricité, qui sera effective jusqu’en 1933. Après des procès suite à ces transformations faites sans des accords bien définis avec les propriétaires, le moulin entre dans une période d’inactivité.
En 1942, le moulin est en partie détruit par un incendie dont les causes sont demeurées mystérieuses. Il ne reste plus que les quatre murs, conclu le rapport du gardien de la propriété ! C’était la période d’occupation ; le moulin était situé non loin de la ligne de démarcation, coté zone occupée. En face, l’éclusier était en zone libre, le Cher était à cet endroit un lieu de passage clandestin.
Ainsi fut détruit le superbe et rare aujourd’hui mécanisme d’origine d’élévation de la roue, dont ne reste plus que Ballan sur le Cher, par un incendie certainement criminel, destruction liée à la folie destructive des hommes de cette époque troublée de la dernière guerre.
Heureusement, à partir de 1950, le site fut réhabilité par le propriétaire du moment qui a su redonner allure et vie au bâtiment, reconstruit à l’identique, tout en aménageant l’intérieur en résidence agréable. Une roue à aubes classique fut remise en place, et qui fonctionne pour le plaisir des hôtes du moulin, et des touristes de passage, lorsque le superbe barrage à aiguilles est relevé.
Le site exceptionnel de Nitray comprend :
Enfin, cas unique sur le Cher, l'écluse est placée à gauche du barrage du fait de la position occupée par le moulin.
Le barrage mobile à aiguilles permet de remonter le niveau de l'eau pour rendre la rivière navigable en toute saison et peut s'escamoter complètement au moment des fortes eaux (on le couche au fond de l'eau en automne pour le remonter au printemps).
Le barrage éclusé de Nitray est construit en 1841 sous la direction de l'ingénieur Camille Bailloud. Le radier du barrage mobile est consolidé en 1894. Une restauration complète et la pose de nouvelles portes d'écluse en bois (à l'identique) a eu lieu en 1996-1997.
[1] Moulin Banal :
Le moulin banal est, dans le système féodal français, une installation technique que le seigneur est dans l'obligation d'entretenir et de mettre à disposition de tout habitant de la seigneurie. La contrepartie en est que les habitants de cette seigneurie ne peuvent utiliser que cette installation seigneuriale, payante. Ce sont donc des monopoles technologiques.
Ces privilèges, abolis et déclarés rachetables dans la nuit du 4 août 1789, sont abolis définitivement sans rachat en 1793.
[2] Moulin pendu
Ce nom est donné à certains moulins à eau ayant un mécanisme spécial. Durant l'année, le Cher a un débit très variable. La hauteur d'eau varie fortement. Il n'est donc pas aisé d'avoir une roue à aubes pour entraîner la meule.
Pour résoudre le problème du niveau, deux solutions existent :
Ils étaient installés, à l'origine, dans des cages fixes, calés entre deux piles de pont, là où le courant est le plus fort. Munis d'une roue motrice disposée de façon à pouvoir être élevée ou abaissée à l'aide de treuils ou d'un mécanisme à crémaillère, ils étaient intimement imbriqués avec le pont.
Facilement manœuvrables pour suivre les niveaux du Cher, ces roues entraînaient les meules situées sur le dessus de l'ouvrage. Une pièce protégeait les mécanismes du moulin, une autre servait d'entrepôt pour le blé et la farine, une autre enfin servait de lieu d'habitation.
Contrairement au moulin à eau classique, cette construction permettait de moudre presque toute l'année.
Il reste indéniable que, bien avant les travaux de canalisation du Cher en 1839, il y avait certainement un péage à Nitray, depuis le VIIème siècle, seigneurial ou royal selon les époques. Comment se faisait alors la perception des taxes ? Une digue de pieux coupait le Cher de la pile nord-est du bâtiment jusqu'à proximité de l'Ile Neuve.
Un passage au milieu, appelé " porte marinière ", permettait de canaliser les bateaux, contrôler les marchandises et faire acquitter les droits de péage.
Ce type de construction ingénieuse pour les bâtisseurs de moulins, ne se rencontre que sur les bords des rivières à fortes fluctuations de niveau d'eau.
[3] Turbine Francis
C’est une turbine hydraulique de type « à réaction ». Ce système, proposé par le français Jean-Victor Poncelet à la fin des années 1820. C’est une roue à aubes à pales courbes fixes, de type vertical alimenté par en dessous. Le principe fut breveté par le nord-américain Samuel B. Howd en 1838 et popularisé par l’anglo-américain James Bichens Francis dont elle porte le nom.